Tanger et été. Deux mots qui s’accordent si bien. Il fait beau et chaud, le bleu du ciel s’intensifie jour après jour, les gens vont à la plage et à minuit, le dynamisme de la ville bat encore à son plein.
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Le matin, j’adore aller au café : c’est ma petite routine matinale. J’emprunte toujours le même chemin à la même heure, un trajet d’exactement dix-sept minutes à pied en plein centre-ville.
Je suis une fille, je me promène et j’adore l’été. Avant de sortir, j’enfile un jean, une paire de tongs. Il fait 30 degrés : je décide de mettre un haut bleu. Seulement, voilà mes épaules ne sont pas couvertes et apparemment, cela pose problème.
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À seulement trois minutes de ma destination, je passe toujours par la même ruelle, c’est un raccourci. À l’entrée de cette ruelle, un vieux monsieur. Il vend des babouches, des djellabas, ainsi qu’un ensemble de vêtements traditionnels pour femmes. Dans cette même ruelle, un autre café, un vendeur d’épices et un autre de mouchoirs et de cigarettes en détail. Ce n’est ni vide, ni dangereux, mais je répète : mes épaules posent problème.
Ce monsieur qui, de par son travail, côtoie une clientèle féminine à longueur de journée, a l’âge de mon père et -je me suis renseignée- a une fille, me harcèle. Pas seulement aujourd’hui, ni hier, mais chaque matin. Il me voit arriver de loin, me reluque de haut en bas et ne peut s’empêcher de lancer le commentaire grossier et vulgaire qu’il aura préparé à l’avance, sa façon de dire bonjour peut-être ?
Je pourrais changer de chemin, cela ne me vaudrait que trois minutes de marche en plus, mais seulement voilà : je n’ai pas à me cacher, je n’ai pas me couvrir, je n’ai pas à avoir honte d’avoir chaud.
Alors, après réflexion, le problème ce n’est pas mes épaules, ce n’est pas la chaleur, ce n’est pas ce que contient mon armoire à vêtements. Le problème, ce n’est pas le voile des femmes, leur débardeur, leur djellaba ou encore leur maillot de bain. Faites l’expérience : dénudée ou entièrement couverte de tissu de la tête aux pieds, il y aura toujours quelqu’un qui se permettra de commenter votre tenue, vos formes ou encore la couleur de votre rouge à lèvres, sauf bien sûr dans le cas où vous êtes accompagnée d’un homme (ne serait-ce même qu’un gamin de douze ans) : vous êtes dès lors miraculeusement exempte de toute provocation, votre protection est étrangement assurée et mieux encore, vous êtes même respectée. Merveilleux, n’est-ce pas ?
Le problème est donc le suivant : il est devenu normal d’agresser verbalement une fille dans la rue et de la harceler. Cela ne choque plus personne, car « on a l’habitude« . Le respect de l’autre, tant qu’il s’agit d’une femme, n’est plus un devoir, mais une nécessité. C’est devenu une simple formalité, un acte de politesse que l’on néglige lorsque personne ne regarde ou alors, lorsque la femme en question n’est pas la soeur d’un ami.
Car enfin, vous connaissez tous ce type qui ira frapper le premier qu’il verra en compagnie de sa soeur, sa cousine ou sa nièce, mais qui sort tous les soirs dans la rue dans l’ultime but de draguer à droite et à gauche. Il voit une fille marcher à quelques mètres de lui sur le trottoir et se met à la suivre. Il s’adresse à elle une première fois, elle ne répond pas. Il continue une deuxième, puis une troisième fois. Agacée, elle accélère, change de trottoir. Il persiste : c’est déjà du harcèlement. Il continue, elle se retourne, elle lui demande de la laisser tranquille, lui fait comprendre qu’elle n’est pas intéressée. Alors il bombe le torse et bien haut, bien fort, il lui dit « tu n’es qu’une pute de toute façon« . Les gens dans la rue l’entendent, mais personne ne se retourne, personne ne réagit. Il n’y a qu’elle qui est choquée, offensée et qui, impuissante, trace son chemin couverte de honte et de colère.
Elle, c’est moi, c’est vous, c’est nous.
Nous avons banalisé le harcèlement de rue, les agressions sexuelles, mais aussi et surtout, l’objectification et la sexualisation permanente de la femme. Nous avons banalisé la vulgarité et la violence. Le tabou, le « hchouma », l’humiliation font désormais partie de notre culture, se présentant comme des éléments à la fois omniprésents et invisibles de notre société.
Cependant, ayons au moins le mérite d’être clairs et honnêtes : dans la rue, on ne vous parle pas parce que votre tenue est trop osée, parce-que vous êtes jolie, parce-que vos formes sont flatteuses, etc. Non, on vous parle parce que vous êtes une fille. Pourquoi je me permets de dire ça ? Parce-qu’en parallèle, celui qui vous trouve trop grosse, trop mince, trop petite ou trop grande, celui qui ne trouve pas votre poitrine à son goût ne manquera pas de vous le dire. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de drague, c’est aussi des insultes et des blagues de mauvais goût qui s’ajoutent à la liste de ces choses qui font le quotidien d’une femme au Maroc. De là à se demander où est passée votre dignité ? Comment êtes-vous réellement perçue en tant que femme aux yeux de ceux dont vous croisez le chemin dans la rue ? Quelle est réellement votre place et que vaut réellement votre voix, mais aussi vous-même, en tant qu’individu, au sein de ce pays qui est le vôtre ?
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