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Le téléphone vibre sur la table, il a perdu la voix depuis longtemps lui, souvent passé en mode vibreur ou silencieux. Sur l’écran, Maman. Je décroche :
« Oui allô ? .. labas wnti ? .. Ok .. Wakha .. Ok .. D’accord .. Wakha .. Bisou bye. »
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Ceci est un scénario tout à fait réel, de conversations menées quotidiennement par des centaines de jeunes marocains avec leurs mamans. La discussion semble normale, habituelle et ne choque personne et pourtant…
Quelques années auparavant, avant le départ de certains pour des études loin du cocon familial, ou un emploi à quelques centaines de kilomètres de leurs villes natales, ils pouvaient se vanter de pouvoir converser des après-midis entiers avec leurs parents ; jusqu’à ce qu’avec le temps, la discussion soit réduite à un simple protocole routinier, que l’on effectue pour garder contact.
Je l’avoue, ce n’est pas là un cas propre aux Marocains et ce détachement des parents est malheureusement commun à tous les jeunes partout dans le monde. Mais ce qui fait la particularité, et surtout la beauté de notre culture, c’est ce modèle de famille nombreuse qui reste soudée et qui ne rate pas une occasion pour se rassembler autour d’un berrad de thé et balancer des ragots et des potins à tord et à travers. Sauf que notre génération n’a pas pu, ou su, et garder son authenticité et s’adapter au changement brusque qu’a connu le monde en si peu de temps.
Très jeunes, nous avons découvert Internet et depuis, le gouffre entre nos parents et nous s’est enfoncé. Ce qui semblait tabou et hchouma à nos géniteurs fait partie des scènes auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement, nos problèmes ont changé et nos parents nous semblent de moins en moins capables de les résoudre. Nous avons dominé la technologie, ou peut-être nous sommes devenus à sa merci, alors qu’ils en sont encore (relativement) protégés. Pourtant, malgré cela, nous sommes restés fidèles à ces rôles de parents/enfants, où les premiers feignent l’autorité et les seconds se proclament rebelles, mais rares sont ceux qui se détachent des codes sociaux et essayent de comprendre ce changement, d’y adhérer et de casser les barrières qui se sont renforcées petit-à-petit.
Le Marocain a peut-être envie de partager plus de choses avec ses parents, de prolonger ces appels téléphoniques de quelques minutes supplémentaires, de profiter à fond de la chance d’avoir encore ses parents à ses côtés et de pouvoir leur parler librement. Mais ce n’est pas toujours facile et cette pudeur des sentiments qui grandit en nous, qui empêche que l’on dise « je t’aime » à son père ou à sa mère, qui nous oblige à transformer un « papa, maman » en « lwalid, lwalida », ralliée à un manque de points communs entre nos deux générations, fait que l’on se sent contraints à raccrocher plus rapidement.
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