Interview Métier Passion : le cinéma multidimensionnel de Julien Fouré

Par le 16 novembre 2021 à 9:24

« C’est grâce au montage que je suis devenu réalisateur ! »

Il choisit le Maroc comme terre d’accueil il y a 15 ans et devient la référence du montage du cinéma national. Il a travaillé, entre autre,  avec Hicham Lasri, Narjiss Nejjar, Mohamed Mouftakir, Hicham Ayouch et raflé quelques prix au Festival National du Film de Tanger. Et comme la passion n’a aucune limite, il réalise en parallèle des courts métrage de fiction et de pub et s’essaye au clip en dirigeant l’acteur Assaad Bouab dans « Serek F’ Bir ». Résultat ? Il est sacré meilleur réalisateur à New York Movie Awards, Rome Music Awards, Paris Film Festival, The Black Panther International Short Film Festival de New Delhi, International Short&Symbolic Art Film Festival de Saint Petersbourg et Best Director Awards de New York pour un clip en darija. Rencontre avec Julien Fouré, qui écrit sa vie au rythme des étapes d’un film, à la fois à l’écriture, en tournage ou en montage. Plongée dans un travail d’orfèvre.

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1.Tu avais des rêves de monteur ou de réal, jeune ?

©Jean Baptiste Liotard

©Jean Baptiste Liotard

Je n’avais pas forcément des rêves de réal ou de monteur, je pense que c’était inconscient. Je regardais beaucoup de films et ma grand-mère nous filmait tout le temps lorsqu’on était en vacances. On m’a offert une caméra quand j’avais 15 ans et j’ai essayé de faire un film avec ma petite sœur et des copains mais c’était anecdotique. Après je me suis inscrit en école de commerce à 18 ans par dépit. Dans cette école, j’ai rencontré un ami Arnaud Fontaine, nos noms se suivaient et on était donc toujours ensemble dans les groupes.

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On a habité en Angleterre en coloc et au bout de 2 ans d’école, j’ai déprimé et j’ai décidé de m’inscrire en école de cinéma. J’ai été pris et c’est là que j’ai pu développer ma passion et mon envie de faire du cinéma. D’ailleurs, Arnaud, même en continuant en école de commerce, a réussi à travailler à l’équivalent du CCM en Norvège. Comme quoi, ça a marché.

2.A quel moment tu as décidé d’opter pour le montage ?

©Mehdi Triqui

Je n’ai pas vraiment opté pour le montage. J’ai fait une formation de réalisation, j’ai fait mes deux premiers courts et le troisième, je ne l’ai jamais fini. En sortant de l’école, on ne devient pas réal comme ça. Alors tu cherches un poste que tu aimes bien et dans lequel tu t’épanouies. Moi j’aimais beaucoup le montage. J’ai commencé comme électro sur des tournages et un jour je me suis retrouvé sur un projet de docu fiction américain, un peu absurde, à tourner à Paris. Après avoir fait la caméra et plein de petites choses dessus, je leur ai proposé de monter le film. C’est là où j’ai vraiment commencé à faire du montage. Ce n’était prévu au départ.

 

3.Qu’est-ce qu’on apprend en école de cinéma qu’on désapprend sur le terrain ?

Julien Fouré et le chef Op Paulin Amato

©Jean Baptiste Liotard

 

C’est l’application de la théorie qui manque dans beaucoup d’écoles.

Je ne dirais pas qu’on désapprend des choses sur le terrain qu’on a appris en école de cinéma. J’ai eu la chance de faire l’EICAR qui est une école où on tournait énormément. Ils avaient compris que le digital était le futur, il y avait des petites caméras DV, on faisait des exercices toutes les semaines, des champs contre champs, des découpages. Je me rappelle qu’on avait fait un film pendant 2 jours où on n’avait pas le même couteau. Il y a eu un faux raccord de fou entre les deux jours et on s’est dit c’est cool. D’autres écoles, comme l’ESRA tenaient à tourner en 16 ou en 35mm. Chaque élève devait gagner un concours du scénario pour avoir la chance de tourner peut être un court métrage sur 3 ans. Ce qui n’est pas beaucoup. C’est l’application de la théorie qui manque dans beaucoup d’écoles. Il y a courts métrages d’école qui marchent un peu mais c’est surtout après l’école que tout se passe. Et puis tu peux aussi être autodidacte et tourner, tourner, tourner.

 

4.Un souvenir de ta première fois en salle de montage …

Julien Fouré, Paulin Amato et Assaad Bouab

©Jean Baptiste Liotard

 

Alors ça, je pense que c’était à l’école de cinéma. On avait un pote qui avait un mac, nous on n’en avaient pas ! J’ai eu mon premier mac vers 27/28 ans quand j’ai monté « Terminus des anges » ! On a fait nos armes chez lui après les cours, les week-ends. Je pense aussi à mon court-métrage avec Laurent, mon co-real. Des expériences d’étudiants. Quand tu apprends à balbutier avec des logiciels d’une part et quand tu apprends à raconter ton histoire en priant que ce que tu tournes chaque jour marche en post prod. T’essaie de mettre un plan après l’autre, tu as une image du mec dans sa salle de bain qui essaye de réfléchir et tu te dis qu’il faut mettre une musique pour faire la transition. Ou encore un clip tourné à l’arrache à Paris avec des mecs en cagoule qui courent. C’était ridicule. Mais c’était drôle d’essayer de faire tenir les plans tournés sur les 3 min d’une chanson, en calant des moments du clip, sur un morceau de rap.

 

5.A quel moment fais-tu intervenir des regards extérieurs sur ton travail ?

©Jean Baptiste Liotard

 

Comme le cinéma est un processus de création, à chaque étape, tu fais intervenir des regards extérieurs. Que ce soit quand on écrit un scénario et qu’on le fait lire, quand on fait un montage et qu’on montre une première version, une deuxième. Même dans le processus de recherche d’une image, tu vas consulter un chef op, une décoratrice, un costumier. C’est vraiment un processus créatif, tu as besoin de l’input des gens. Le secret c’est d’être ouvert à la discussion mais aussi d’être sûr de ce que tu fais.  Tu peux décider d’être un peu extrème et de ne rien écouter de ce que disent les gens, mais cela dessert forcément. Mais en même temps il ne faut pas être trop malléable non plus et perdre ton intention, la diluer dans les idées des autres.

 

 

6.Quel genre de réalisateur es-tu ?

Déjà je suis un jeune réal. J’ai fait pas mal de pubs, j’ai fait des courts de fiction il y a longtemps, des films institutionnels, un clip. Je suis un réalisateur monteur, le montage m’a amené à la réalisation. Je pense mes découpages, j’essaie de créer mon histoire quand j’écris ou quand j’adapte une idée. J’essaie de penser à où poser ma caméra, pour que l’histoire se raconte le mieux possible. Quel personnage a le dessus dans une discussion sur l’autre. On sait très bien que quand on film un personnage en contre plongé, quand la caméra est légèrement en dessous de lui, ça va le grandir. Quand on met une caméra au-dessus de ses yeux, ça va le rapetisser. C’est le genre de chose qu’il faut penser et j’essaie vraiment de faire attention à ça. Je ne vais pas filmer toute la scène dans tous les axes possibles et imaginables. Je vais aller chercher des choses dont j’ai vraiment besoin. Ma faiblesse serait peur être la direction d’acteur, c’est pour cela que c’était vraiment enrichissant de travailler avec des acteurs comme Assaad Bouab, Adil Abatourab ou Fehd Benchemsi. Leur expérience t’aide. Quand tu n’es pas très habile dans la direction d’acteur, c’est bien d’avoir des acteurs qui connaissent leur métier et te font des propositions. C’est pour ça que je prends mon temps pour passer à d’autres fictions. Ce sont les acteurs qui racontent l’histoire, pas l’image. C’est bien beau de faire un beau plan sur une colline, si on n’a pas l’acteur qui pleure au moment où il faut, on n’a rien. C’est sur ça qu’il faut que je travaille et sur ça que je continue à travailler.

 

7.Quelle est la meilleure partie du job de réal?

©Jean Baptiste Liotard

Plus qu’un métier, c’est une passion. Je travaille dans la partie la plus noble de notre domaine, qu’est le cinéma. J’ai la chance d’être monteur de cinéma, j’ai la chance de faire des clips et des courts métrages, d’être toujours dans cette recherche de narration. J’ai la chance de faire de ma passion, mon métier. On a la chance d’être sollicité tous les matins pour lire des scénarios, voir des images réfléchir sur la narration. Tous les jours nous apportent un peu plus d’expérience dans notre domaine, des nouvelles personnes, de nouveaux horizons. La chance que j’ai, c’est que même quand je regarde un film le soir avant de dormir, j’apprends mon métier. C’est l’univers de tous les possibles. Je peux passer ma journée à regarder des films, mettre pause. Je regarde peu en streaming, je télécharge parce que j’ai besoin de revenir en arrière, de choisir le plan à étudier. Je préfère archiver les choses pour mieux les étudier.

 

8.Qu’est-ce qu’un film réussi ?

©Jean Baptiste Liotard

Si on était architecte, on saurait ce qu’est un angle droit et de ce fait qu’un immeuble ne s’effondrerait pas. Le cinéma c’est autre chose. Il n’y a pas de recette miracle. Pour un film réussi, 1000 tombent dans l’oubli. Ça tient à plein de choses : à l’appréciation des spectateurs, à l’histoire, au développement des personnages, au style. Il y a tellement de facteurs. Si on savait ce qu’était un film réussi, ils seraient tous réussis. C’est ce qui fait la beauté de la chose, c’est que tu peux rater ton film et donc tu as une pression énorme. Le cinéma est un médium où il y a énormément d’argent en jeu et qui monopolise des équipes de 50, 100, 1000 personnes. Une fois que le film est tourné, on ne peut pas revenir en arrière. Et c’est là où c’est à la fois compliqué, douloureux et magique. Je dirais que pour un film il faut de l’émotion : ça doit te faire peur, te déstabiliser, te faire pleurer. Si le film te bouleverse ou te fait réagir, c’est que c’est un film réussi.

 

 

9.En tant que réal, es-tu plus d’empathie pour les reals en montage ?

©Jean Baptiste Liotard

Oui, c’est grâce au montage que je suis devenu réalisateur. Je voyais les réalisateurs faire, et je voyais les erreurs qu’ils commettaient. Quand je suis devenu réalisateur, et que je retournais en salle de montage, j’étais confronté à mes propres erreurs aussi. J’ai eu plus d’empathie pour les réalisateurs après. Quand on est en salle de montage, on est une sorte de geek, on parle à l’écran, on parle aux comédiens ! (Rires). On en rit souvent avec les réalisateurs, on me demande à qui je parle ? « Je parle aux acteurs, je leur demande de tourner à gauche plutôt ! » Sauf que l’image a été fabriquée, ils ne peuvent pas tourner pour moi…On s’amuse. Mais quand tu réalises, tu te rends compte combien c’est dur de faire l’image où l’acteur tourne à gauche au moment voulu. Depuis que je suis réalisateur, j’ai encore plus envie d’aider les réalisateurs à faire leurs films, à trouver des solutions quand on a des impasses, sublimer les choses quand elles sont déjà très belles.

 

 

10.Es-tu plus à l’aise dans une salle de montage ou sur un tournage ?

©Jean Baptiste Liotard

Ce sont deux énergies totalement différentes. Le montage est un sanctuaire, où tu as la chance d’être dans une salle avec un réalisateur. Ça peut s’apparenter à un cabinet de psy où l’on doit comprendre le réalisateur, ses intentions, les adapter avec ses images, tu vis avec lui. La salle de montage est un endroit que j’adore, c’est là où j’ai commencé et j’ai développé un amour pour ce métier. D’ailleurs, à chaque fois que j’en sors, que j’essaye de me plonger dans la réalisation, et qu’on me propose un montage, j’y retourne en courant. C’est plus intime. Les tournages, ce qui est génial, c’est qu’il y a une multitude de personnes qui vont travailler avec toi et t’aider à mettre au monde ton projet, à trouver l’image la plus belle, à te suivre. Tu es un chef d’orchestre qui doit mener une équipe et leur donner l’envie et l’énergie de faire un film. D’ailleurs on dit souvent qu’un tournage est à l’image de son réalisateur. J’aime les deux, je suis à l’aise dans les deux même si j’ai plus d’expérience en montage. On a les mêmes désillusions, les mêmes frustrations, le même enjeu.

12.Te sens tu plus réalisateur que monteur ?

©Mehdi Triqui

J’ai monté plus de plus de 30 films, je suis plus monteur que réalisateur par la force des choses, et c’est le métier pour lequel je suis reconnu aujourd’hui. Au fond de moi, je suis persuadé d’être réalisateur. J’ai le luxe d’avoir mon métier de monteur et de faire de la réalisation en parallèle, alors autant ne pas y aller en courant. J’ai aussi moins le droit à l’erreur, parce que j’ai 15 ans de métier et je ne peux pas me louper. Mon court métrage a été apprécié, mon clip aussi. Il y a une reconnaissance et c’est important. Je me dis que j’ai quelque chose à faire là-dedans. Mais je prends mon temps pour faire les choses correctement, parce que si je me rate, je me dis peut-être qu’il vaut mieux rester dans le montage…

Persévérante, réservée et solitaire. Beaucoup d’échecs ont fait que je ne croyais plus en moi, mais je ne me suis jamais résignée, car la vie c’est des montagnes russes et les échecs deviennent avec le temps une source de motivation.

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