« Voyage au bout de l’enfance », le dernier roman de Rachid Benzine vient de paraitre aux Editions Seuil ce lundi. Une oeuvre subtile et débordante d’humanité sur une famille qui rejoint l’Etat Islamique en Syrie. L’islamologue, politologue et enseignant franco-marocain qui est devenu un romancier et dramaturge, qui compte avec « Lettres à Nour », « Ainsi parlait ma mère » ou encore « Dans les yeux du ciel », se met à la hauteur d’un enfant pour raconter la promesse d’un paradis qui n’est autre qu’un véritable enfer.
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1.L’angle est bien trouvé
Il est question de radicalisation, de l’Etat islamique, des promesses que l’on fait à des gens qui vont combattre au nom de Dieu et de la foi. Elles sont nombreuses ces histoires, ces témoignages, ces enquêtes sur le sujet. Mais qu’en est-il quand c’est raconté à travers le regard d’un enfant ? C’est évidemment poignant. A la fois criant de vérité et attendrissant. Le regard sur un nouveau monde du petit Fabien, dont les parents rejoignent Daesh.« Trois mois. D’après maman, ça fait précisément trois mois aujourd’hui qu’on est enterrés dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j’ai quitté l’école Jacques – Prévert de Sarcelles. » prévient le petit garçon dès les premières pages du roman.
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2.Le rythme dans la plume
L’écriture est fluide.Les mots sont bien trouvés, toujours justes. Simples et poignants. L’on comprend la souffrance , l’incompréhension, le doute, l’horreur. Rachid Benzine arrive à trouver les « maux » justes à chaque fois et c’est bouleversant.
3.La poésie malgré tout
Lorsque l’on connait le sujet du livre, comment est-il possible de penser poésie ? Encore moins d’en parler. Rachid Benzine le fait. La poésie est presque le personnage principal d’ailleurs. Elle apaise la douleur, la peur. Elle donne un sens à l’urgence de la vie, lui laisse toute la place. Fabien se réfugie dans la beauté des mots pour penser ses blessures et celles de sa mère.
4.Voyage au bout de l’espoir
Malgré la situation, l’on traverse le roman avec l’espoir qu’il y a pire, et que la vie n’est pas si difficile dans ce camps. Il y a de l’humanité dans l’abject. « Parce qu’il y a des enfances qui n’en sont pas et des enfants que l’on fait grandir trop vite, Parce que le bruit et la fureur engloutissent leurs rêves, leur poésie et leurs mots, Parce qu’aujourd’hui se demander si les enfants de criminels méritent notre pardon est une insulte à la raison, Parce que nous devons avoir le courage d’affronter l’horreur dans leurs yeux et l’humanité de les accueillir pour les soigner, Parce que ces enfants sont ceux de ce monde que nous avons laissé sombrer, Et parce qu’il n’est jamais trop tard… Ce texte pour imaginer ce que nous dirait l’un de ces enfants sacrifiés, dont les mots ont été volés. Ou tus à jamais ».
5.Rachid Benzine est un grand auteur
Il maitrise l’exercice difficile , presque impossible, de parler à la place d’un enfant que l’on arrache à sa vie à Sarcelles pour une vie qu’il ne connait pas en Syrie. Ses parents, pensant trouver le paradis, se dirigent tout droit vers l’enfer. Non seulement, nous sommes plongés dans la tête d’un enfant, dans l’âme innocente d’un petit Fabien qui va s’ouvrir à la cruauté d’un monde d’adulte qui le dépasse, mais surtout dans l’horreur des camps de Daesh et le quotidien des futurs martyrs. On peut sentir les odeurs, toucher les textures, avoir mal à chaque claque ou blessures, ressentir la méchanceté des gens sur place. L’oeuvre est délicate, la tension est palpable de la première page à la dernière. L’émotion est intacte.
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